Êtes-vous historien ?

— Êtes-vous historien ?

Cette question est sans doute la plus fréquente qui me soit posée lorsque je fais des dédicaces.

Je serais historien, et bardé de diplômes universitaires, je donnerais assurément à certains un gage de qualité aux romans que j’écris. Hélas, bien qu’universitaire, je ne suis pas historien, je suis simplement un romancier qui raconte des histoires en essayant de s’approcher au plus près de la vérité historique.

Ce qui me rassure, c’est que je ne suis pas le seul écrivain à qui on a reproché de ne pas être un authentique historien. Ainsi Alexandre Dumas, dans un dialogue savoureux, raconte ses démêlés avec un magistrat, historien réputé, qu’il vient interroger pour écrire les Compagnons de Jéhu. En voici quelques extraits :

Je trouvai un homme à la figure luisante et au sourire goguenard. Il m’accueillit avec cet air protecteur que les historiens daignent avoir pour les poètes.

— Eh bien, monsieur, me demanda-t-il, vous venez donc chercher des sujets de roman dans notre pauvre pays ?

— Non, monsieur : mon sujet est tout trouvé ; je viens seulement consulter les pièces historiques.

— Bon ! je ne croyais pas que, pour faire des romans, il fût besoin de se donner tant de peine.

— Vous êtes dans l’erreur, monsieur, à mon endroit du moins. J’ai l’habitude de faire des recherches très sérieuses sur les sujets historiques que je traite.

— Vous voudrez bien m’apprendre, monsieur, me dit-il, à quoi je puis vous être bon dans cet important travail ?

— Vous pouvez me diriger dans mes recherches, monsieur. Ayant fait une histoire du département, aucun des événements importants qui se sont passés dans le chef-lieu ne doit vous être inconnu.

— En effet, monsieur, je crois, sous ce rapport, être assez bien renseigné.

— Voici, monsieur. Quatre… jeunes gens, les principaux parmi les compagnons de Jéhu, ont été exécutés à Bourg, sur la place du Bastion.

— D’abord, monsieur, à Bourg, on n’exécute pas sur la place du Bastion ; on exécute au champ de foire.

— Maintenant, monsieur… depuis quinze ou vingt ans, c’est vrai… Mais, auparavant, et du temps de la Révolution surtout, on exécutait sur la place du Bastion.

— C’est possible.

— C’est ainsi… Ces quatre jeunes gens se nommaient Guyon, Leprêtre, Amiet et Hyvert.

— C’est la première fois que j’entends prononcer ces noms-là… Vous êtes sûr, monsieur, que ces gens-là ont été exécutés ici ?

— J’en suis sûr.

— De qui tenez-vous le renseignement ?

— D’un homme dont l’oncle, commandant de gendarmerie, assistait à l’exécution.

— Vous nommez cet homme ?

— Charles Nodier.

— Charles Nodier, le romancier, le poète ? Vous avez fait un voyage inutile ! Il y a vingt ans, monsieur, que je compulse les archives de la ville, et je n’ai rien vu de pareil à ce que vous me dites là.

Dumas quitta l’historien fort contrarié et poursuivit ses recherches au greffe de la prison. Il y trouva finalement le procès-verbal d’exécution des quatre jeunes gens qui confirmait ses dires ! Laissons-lui la parole :

Ah ! C’était donc le poète qui avait raison contre l’historien ! Le capitaine de gendarmerie qui avait remis au juge de paix le procès-verbal de ce qui s’était passé dans la prison – où il était présent – c’était l’oncle de Nodier !

J’avais dans ma poche les Souvenirs de la Révolution de Nodier. Je tenais à la main le procès-verbal d’exécution qui confirmait les faits avancés par lui.

— Allons chez notre magistrat, dis-je.

Le magistrat fut atterré, et je le laissai convaincu que les poètes savent aussi bien l’histoire que les historiens, s’ils ne la savent pas mieux.

Que le lecteur ne s’imagine pas, à travers cette anecdote, que j’ai l’outrecuidance de me comparer à l’un des plus grands romanciers de tous les temps. Pourtant, comme M. Dumas, je construis mes histoires en essayant d’être au plus près d’une vérité historique (pour autant qu’il y en ait une !). Ainsi, chaque fois que je le peux, pour suivre au mieux ce qui est rapporté par des mémorialistes, j’incorpore dans mon récit des extraits de leur œuvre. Parfois en citation, parfois en les transformant en dialogues ou en les insérant dans le déroulement du récit.

Pourtant, et malgré toutes les vérifications que je m’impose, il arrive que je commette des erreurs. Parfois, simplement d’inattention, d’autres fois à cause d’un manque de documentation, plus fréquemment du fait d’un trop-plein d’information, car il n’est pas rare que le même fait rapporté par deux mémorialistes se situe à deux dates différentes, ou comporte des variantes importantes.

Malgré tout, le mélange de textes historiques et de détails authentiques au sein du roman permet de nourrir l’imagination et d’apporter cette impression de vécu qu’Alexandre Dumas a su si bien nous faire partager. C’est en tout cas ce que je souhaite, et si je parviens ainsi à transporter le lecteur dans une autre époque, tout en le passionnant par l’intrigue romanesque que je raconte, j’aurai réussi mon pari.

Les rapines du Duc de Guise
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